06 mars 2007

Moi et le bel homme

Petit matin de mars sur l’île de Montréal.
On est mardi et il est 8 h 20 coin Jarry et Chambord.
Il fait moins trois cent soixante-quinze degrés.
Environ.

Je suis bien habillée, je n’ai pas trop froid, ça va.
C’est même presque drôle, j’ai les poils de nez qui collent ensemble quand j’inspire.
Je décide tout de même, question de ne pas mourir sur le coin de rue en attendant mon 2e bus, de me rendre au boulot en métro.
Le souci, c’est que le bus allant direction métro n’est pas en vue.
Bah, pas grave, je vais marcher, ça va me garder au chaud.
Une fois devant le métro (juste comme le bus arrive) j’ai les doigts qui paniquent. Mes jolis gants de cuirs sont... jolis. C’est tout.
Je suis pas déçue d’arriver.

Je suis chanceuse, une fois sur le quai, le train est déjà là et j’y entre juste à temps pour ne pas me faire coincer les cheveux entre les portes.

Y a un peu pas mal de monde. Je suis debout, coincée dans un trou, à tenir le poteau à bout de bras, face à face avec un homme, lui aussi coincé dans son trou.

Je lui lance un sourire gentil qui ne laisse voir qu’une de mes fossettes pour lui laisser savoir que je suis vraiment désolée de lui étirer mon bras dans la face. Il me sourit vitement en retour, pour me laisser savoir qu’il préfère mon bras dans sa face à mon corps entier propulsé sur lui au prochain arrêt pour cause de freinage trop brusque.
Au moins les choses sont claires.
Pas de rancune.
Bien.

Sauf que je vois bien du coin de l’œil qu’il me regarde, qu’il regarde par terre, qu’il me regarde encore, etc.
Je commence à être un peu mal à l’aise.
Surtout qu’il est vraiment juste dans ma face.
Surtout que j’ai pas mon iPod pour me chanter des trucs qui me propulseraient à 1 000 lieux d’ici.
Surtout que, après avoir jeté un 2e coup d’œil (puis un 3e pour être certaine), je me rends compte qu’il est vraiment beau. Le genre de gars à côté de qui on voudrait s’asseoir par hasard au bar quand on sort prendre un verre « remonte-moral » après s’être fait jeter. Le genre de gars qui ferait rougir bien des filles à juste les ignorer. Le genre de gars qui pourrait faire des annonces de bobettes JM en affiches géantes sur le bord de l’autoroute 20, direction Centre-Ville. Le genre de gars qui me fuit depuis toujours...
Mais là il me regarde quand il croit que je vois rien et, surtout, surtout, il ne se sauve pas.

Bizarre.
Étrange, même.

Merde!
Juste au milieu de ma réflexion, je me rends compte que je souffre tout à coup du syndrome de la goutte au nez. Je sniffe un coup ou deux, ça change rien.
(Il a entendu, c’est sûr!)
J’enlève tant bien que mal mes gants en essayant de ne pas perdre l’équilibre.
(Il me regarde faire attentivement, prêt à m’attraper si je tombe)
Je cherche dans mon sac à main grand comme ma main pour un paquet de mouchoir.
(Il me voit faire)
Je m’essuie rapidement la goutte qui menace de faire le grand saut du revers de la main.
(Il a vu, c’est sûr!!)
Je continue de cherche comme si j’étais Mary Poppins et que j’en sortirais une boîte neuve de Scotties triple épaisseur.
(Il… Il… quoi???? ** ok, ça suffit les parenthèses, là! **

Je disais donc :
Il me tend un mouchoir en souriant. Incroyable!
Je ne sais pas trop si je dois être flattée du geste gentleman ou si je dois me sentir mal à l’aise d’en être arrivée à ce qu’un étranger m’offre un mouchoir pour cause de goutte au nez flagrante.
J’opte pour la première option, les gentlemen étant de plus en plus rare en ce bas monde et aussi un peu parce qu’il a l’air charmant, qu’il me sourit à nouveau et qu’il semble (je rêve peut-être) rougir à ma place.

Je lui souris pour dire merci.
Je me mouche aussi gracieusement et discrètement que faire se peut, c’est-à-dire très peu.
Je lui dis merci avec des mots cette fois, en rangeant le mouchoir à demi-usé dans ma poche, on ne sait jamais, ça peut servir.

Et là, comme si ce qui venait de se passer n’était pas assez incroyable, il me parle.
Je ne pourrais dire les mots exacts utilisés, mais c’était du small talk à la « c’est pas drôle l’hiver! ». Du n’importe quoi pour ouvrir une conversation quoi.
Tout ce que je trouve c’est un « ouais! » lancé en riant à moitié et de me dépêcher à regarder de l’autre côté.
Il va comprendre que je ne suis pas à l’aise du tout et il va abandonner.
Pourtant...
Pourquoi je suis mal à l’aise?
Pourquoi je voudrais qu’il abandonne?
Toute ma vie j’ai voulu que les beaux mecs portent attention à moi. Toute ma vie j’ai couru après les beaux mecs. Et toute ma vie ils ont couru pour s’éloigner.
Et là, lui, il me parle.

Il fait du bien à l’ego et à l’œil, laissez-moi vous le dire. Un peu plus grand que moi. Cheveux et teint foncés, petite barbe bien taillée qui a l’air toute douce, des yeux profonds et rieurs...

Mais non. Pour une raison obscure, j’aurais juste envie qu’il descende au prochain arrêt.

Mais non. Il ne descend pas.

On reste dans cette situation de malaise tout de même pas trop déplaisant jusqu’à ce qu’on arrive à la station Berri où, enfin, je peux me retourner et descendre. Juste avant, je lui redonne un dernier sourire qui lui dit de passer une belle journée et merci encore pour le mouchoir. Il fait de même. Sans la portion de remerciement pour le mouchoir.

De toute la longueur de mes longues pattes, je marche rapidement jusqu’à l’autre quai, direction travail. Je me secoue la tête et les idées. Je me dis que c’était chouette ce petit épisode matinal. J’y pense presque plus en fait quand j’arrive au bas de l’escalier et qu’on me tape doucement sur l’épaule, comme pour m’avertir que j’ai échappé un truc.
Je me retourne.
C’est mon Monsieur Mouchoir.
Il me sourit et me dit tout plein de trucs, timidement en regardant tantôt vers ses pieds, tantôt en plein au fond de mes yeux. Je suis tellement surprise que je n’assimile que quelques-unes de ses paroles, mais il me dit plein de choses : « pas mon genre », « jamais fait ça », « je te donne ma carte », « charmante », « peux appeler si tu veux », « prendre un verre »
EUH...
QUOI?!?!?!?!
Ai-je bien compris qu’il m’a traité de... charmante?

Je suis tellement abasourdie, que je ne réponds absolument rien. J’ai une carte d’affaires entre les doigts, je le regarde, je crois que j’ai la bouche un peu ouverte et je ne dis rien.
Il reste là quelques secondes de plus.
Puis il doit se sentir tellement idiot qu’il finit par me souhaite une belle journée et se tourne pour repartir vers le haut des escaliers.
Et moi je ne bouge pas, j’ai toujours la bouche un peu ouverte, je le regarde partir et tout ce que je trouve à faire c’est de lui demi-crier (parce qu’il est tout de même rendu au milieu des escaliers maintenant) « merci pour le mouchoir! »
Je me retourne vers le métro qui arrive.
Je fais une grimace.
Je me trouve twit.

Une fois assise dans le métro, 3 stations plus loin, je baisse les yeux sur la carte que j’ai toujours en main. Charles quelque chose, c’est son nom.
Et là, ça me frappe.
Je comprends tout.
Je venais de comprendre le problème de Charles, ce qui faisait que j’avais somme toute pas vraiment envie qu’il s’aventure à me parler.
Il s’appelait Charles.
Il s’appelait Charles et il n’était pas le beau grand brun qui me donne des frissons à flatter mon ventre en me parlant doucement à l’oreille quand j’angoisse pour rien.
Il n’était pas lui.
Bien sûr qu’il était beau, mais il n’était pas lui.

À cet instant précis, j’ai souri. J’ai souri avec les dents, toute seule dans le métro, pour 3 stations de plus. J’ai souri et une fois hors du wagon, j’ai déchiré la carte en deux et j’ai souri encore plus en la lançant gracieusement dans la poubelle en faisant virevolter mes cheveux au ralenti par-dessus mon épaule comme dans une annonce de shampooing (j’entendais presque la musique à la Lenny Kravitz retentir autour de moi). J’en ai profité pour jeter le mouchoir à demi-utilisé aussi et je suis partie toute légère vers le bureau.

Voilà donc.
J’étais légère.
J’avais compris et j’étais légère.
Même le plus beau des Charles n’est pas à la hauteur.
C’est pas peu dire!

Aucun commentaire: